LA FONCTION PATERNELLE DANS
L'EDUCATION ET L'EVOLUTION SOCIALE
Le besoin d'un père est fondamental à l'espèce humaine. Quand il n'est pas
personnalisé par la présence paternelle ce besoin demeure archaïque, nourri par
des images culturelles d'un père qui peuvent aller du diabolique à l'esprit
saint ! Plus le père sera manquant et moins il aura de chance d'être
humanisé par l'enfant et plus le besoin inconscient se traduira en images
primitives comme Supermann, Rambo, Hulk..
L'absence du père pour son fils c'est comme s'il manquait de colonne
vertébrale,comme s'il ne se sentait pas supporté de l'intérieur, qu'il manquait
de structure interne. Ses idées peuvent aller jusqu'à la confusion :
difficultés à se fixer un but, à faire des choix, à identifier ses propres
besoins, tout se mélange amour et raison, appétit sexuel et simple besoin
d'affection. Par compensation cet adolescent, puis adulte, va tenter de
colmater le manque en se structurant à partir de l'extérieur: jamais un moment
de vide, rechercher le regard admiratif des autres, être le séducteur aux
nombreuses expériences sexuelles. On le retrouvera souvent avec une carapace
musculaire impressionnante, ou bien avec une respectable bedaine.
Pour éviter de ressentir sa grande soif d'amour et de compréhension, son besoin
profond d'être touché, aimé et être aimé, les affirmations de ce personnage
seront catégoriques et son incertitude de plus en plus grande. Ce qui peut
donner des fascistes, des fils révoltés qui obéissent au père primitif tout
puissant, à des maitres spirituels, à des gourous. Les guerres qui se
déroulent également dans les familles entre adolescents et leurs mères sont des
manifestations des fils qui tentent par tous les moyens de se dégager de
l'emprise maternelle, d'arracher leur corps à leurs mères et de prouver qu'ils
sont des hommes.
C'est là que l'histoire d'amour entre la mère et le fils devient une lutte de
pouvoir. C'est là que le fils qui deviendra homme entreprend sa guerre contre
la femme.
Les pères assistent à cela la plupart du temps impuissants, sans
comprendre qu'ils en sont largement responsables, que cet état de fait signifie
chez les fils la répression de toute affectivité masculine et l'imitation des
stéréotypes machos. L'important est donc que le fils nourrisson soit en
contact le plus vite possible avec l'odeur du père, qu'il entende le son de sa
voix, que plus tard il virevolte dans ses bras, que le père ose le cajoler en
découvrant sa propre sensibilité en la prodiguant à son enfant. Et surtout que
la mère respecte la place du père auprès de son enfant.
Une relation inadéquate avec le père laisse chez un fils de véritables "
trous psychiques " remplis de fantasmes maléfiques vis-à-vis du masculin.
Le modèle de père, barré, critiqué, renié par la mère, et s'étant révélé
inutilisable pour permettre au petit garçon de s'identifier au masculin fera
qu'il ne pourra que refouler sa propre masculinité et souvent se réfugier dans
une adolescence éternelle où il aura tendance à rejeter les valeurs
traditionnellement masculines, se coupant ainsi de son propre sens
d'affirmation et d'exploration. Ce qui semblerait démontrer que les fils
ne se développant pas positivement en rapport avec le corps du père, le font
négativement contre le corps de la mère et le corps féminin en général.
Ainsi, beaucoup d'hommes ont peur de devenir pères à part entière car ils ne
veulent pas faire revivre à leurs fils les tourments dans lesquels ils ont été
jetés.
Les enfants bien paternés se sentent assurés dans la poursuite de leurs études,
dans le choix d'une carrière ou leurs prises d'initiatives personnelles.
Beaucoup d'hommes vivent encore plus ou moins dans un silence héréditaire qui
se transmet de génération en génération et qui nie le désir de chaque
adolescent d'être reconnu, voire confirmé par le père. Comme si cela était
normal que le père ne dise rien au fils et que le fils doive se contenter de
rester à sa place de fils sans chercher à mieux connaitre le père. Comme s'il
n'y avait rien à dire des sentiments, des émotions, des choses de la vie entre
père et fils. Comme si c'était le domaine de la mère, le domaine des femmes.
Mais justement le domaine de la femme qui dans le pire des cas nie l'homme dans
sa place de père, et ne peut pas savoir ce que ressent un homme puisque c'est
une femme.
Comme si donc, nos pères avaient été pris dans une sorte de lieu du silence
décrétant que celui qui parle risque sa vie pour avoir trahi le secret des
pères. Les hommes d'aujourd'hui ont peu l'occasion de vivre et
d'actualiser leur potentiel masculin en présence de leurs pères. Le vide se
fait sentir à mesure que s'écroulent les habitudes ancestrales. L'absence
rélle et effective des pères dans les foyers est impressionnante.
Le manque physique d'un père est également un manque psychique. Un père
absent peut être un père présent dans le foyer mais absent dans le dialogue et
l'émotionnel, et c'est à la mère de lui donner la parole. Un père ayant
été lui-même tributaire de la toute puissance de sa propre mère peut se
comporter de façon inacceptable avec son fils, par exemple :
- Père autoritaire, écrasant, envieux des talents de son enfant dont il
piétine toute initiative créative, qui brise toutes ses tentatives
d'affirmation.
- Père alcoolique dont l'instabilité émotive garde le fils dans une insécurité
permanente.
Le fils adulte doit faire le deuil de ses idéaux de paternage. Et ceux qui
ont manqué de père ont le chemin de devenir le père qu'ils auraient voulu
avoir. Explorer le passé de son père pour comprendre ses douleurs et ses
comportements va développer une empathie qui permettra de lui pardonner ses
défaillances. Oser dialoguer avec le père mort ou lointain, lui écrire des
lettres, faire des jeux de rôle, peut permettre au fils d'objectiver sa peine
et de mieux l'accepter.
Et pour ne pas sombrer dans le silence de leurs pères les fils doivent
dire à leurs femmes, leurs compagnes, leur vulnérabilité et leurs besoins
profonds d'hommes, leurs violences intérieures, leurs visions, partager, se
montrer tels qu'ils sont, " devenir réels " à leurs propres yeux et aux yeux de
ceux qui les entourent. Car si le petit garçon nait de sa mère il nait
aussi de son père pour naitre enfin de son Soi profond, de sa propre
individualité. Et ceci ne pourra se faire qu'en s'appuyant à la fois sur un
père et une mère à l'écoute de ses besoins, de ses projets, profondément
respectueux l'un de l'autre et de la liberté et originalité de leur fils tout
au long de sa vie d'enfant, d'adolescent et d'adulte.
LE COMPLEXE D'OEDIPE ET LA LOI
SYMBOLIQUE DU PÈRE
Le complexe d'Oedipe est signifié comme un ensemble d'investissements amoureux
et hostiles que l'enfant fait sur ses parents. C'est le moment, le stade
où le petit garçon veut être tout pour sa mère. Il a saisi le danger que
représente le père qui vient les séparer, qui vient lui dire : " Cette femme
est à moi, elle ne t'appartient pas, tu ne l'auras pas."
Il veut pourtant rester seul avec elle, être le seul objet qui puisse lui
manquer, il veut remplacer le père, être ce manque que soudain il devine.
Il veut devenir l'objet du désir de la mère, et il se pense comme l'objet du
désir de sa mère. Il veut en quelque sorte être ce manque qui manque à la
mère.
Mais comme ce désir est fait de manque, comme ce désir ne peut être que
parce qu'il y a manque, l'enfant prend la place du manque. Il devient manque à
son tour, il est alors absent à lui-même pour la jouissance de l'autre, il est
aspiré dans le néant. Dans la majorité des cas la peur que le père ne se
venge en s'attaquant à son pénis, et qu'il le perde comme les filles, lui fait
abandonner son projet de séduction en le détournant vers une identification
valorisante trouvée chez le père : courage, force, jeux virils..
Mais imaginez un petit garçon dont la maman interdit au père tout droit de
visite ou tout lien affectif. Il va rester " séduit " par la mère, englué dans
la symbiose.
Dans l'Oedipe chez le petit garçon, le père est aimé comme un modèle
idéal. Il est redouté comme un interdicteur et un censeur. Il est désiré et
redouté comme séducteur. Il est redouté et haï comme un rival. Cependant, à la
différence du petit garçon qui craint pour son pénis, la petite fille est
totalement tranquille de ce côté là puisqu'elle " ne l'a plus ". Elle pourra
ainsi beaucoup plus facilement se dégager du complexe d'Oedipe, en désirant
avoir un enfant du père ( puisque sa mère en a eu un ! ) Et quand elle aura
compris l'inutilité de son espoir, elle pourra pourtant " posséder un pénis (
plus tard en elle au moment de l'acte sexuel ) et un enfant du père ( par le
pénis transposé de son compagnon qui deviendra le substitut du phallus
lui--même ) et la fera mère.
Dans l'Oedipe féminin, tout comme le petit garçon la petite fille croit
que la maman a elle aussi un pénis. La certitude est telle que la question ne
se pose pas. La mère est intégrée et désirée comme une figure idéale. Elle est
désirée comme un objet sexuel que la fillette veut posséder, puisque la mère a
le " phallus " ( pénis symbolique ) et qu'elle est une fille à sa ressemblance,
il est naturel qu'elle veuille en avoir un aussi. Puis la mère est blâmée
par la petite fille d'avoir été incapable de la doter de cet attribut de loi
symbolique. La mère est déchue de sa toute puissance. La mère en tant que femme
désirant un homme devient alors, et par la force des choses, un modèle
d'identification. La mère est à nouveau aimée comme modèle féminin, mais haïe
comme rivale !
Hé oui, INCONSCIEMMENT certaines s'en tirent mieux que d'autres !
A l'adolescence le complexe d'Oedipe du petit garçon cédera totalement
dans la prise de conscience de sa propre position sexuelle et son rôle social
d'adulte en devenir. Pour autant, il n'en sera vraiment pas libéré tant qu'il
n'aura pas réellement considéré sa compagne non plus en temps que mère
symbolique, mais en tant que femme à part entière.
Pour la petite fille où le complexe d'Oedipe est également complexe
d'Electre, les sentiments amoureux se portent sur le père avec l'hostilité
envers la mère dont elle craint en même temps les représailles. Elle
abandonnera progressivement son désir d'avoir un enfant du père et se dirigera
vers l'acceptation de son rôle féminin ( jeux avec des poupées,imitation de la
maman dans les tâches ménagères, etc.. )
* Il faut également bien comprendre qu'à part les barbaries des hommes entre
eux et sur les femmes, relevant de la psychopathologie, la castration réelle
n'existe pas. C'est une idée de danger imminent et imaginaire que s'invente
l'enfant le temps d'un éclair, si ce n'est carrément dans son inconscient. Si
cette idée de danger arrive dans le champ de la conscience et y persiste on est
alors dans l'éclosion d'une névrose, et la souffrance névrotique se situe dans
la peur de la castration et non dans la castration en soi.
La loi symbolique doit se comprendre dans le fait que le père barre l'accès à
la satisfaction symbiotique naturellement recherchée par l'enfant auprès de sa
mère.
Par sa présence physique, le père en provoquant la fin de la fusion totale
entre la mère et l'enfant vient casser l'identification entre le désir et
l'objet du désir. L'enfant va accéder à la prise de conscience du désir comme
étant quelque chose séparé de lui, possédant une existence propre, hors de sa
mère, et que ce désir trouve ou non satisfaction dans la réalité
extérieure. Cette frustration " coupe " l'enfant de sa mère, lui donne sa
propre autonomie, lui permet de se reconnaitre unique, séparé, et désirant
!
C'est une structure capitale pour son psychisme.
Le père est le premier " autre " que l'enfant rencontre en dehors du
ventre de sa mère. Il sait indistinctement qu'il n'est pas elle, mais c'est lui
qui deviendra l'élément de séparation ultime entre sa mère et lui en lui
permettant de se différencier et de se nommer. ( stade du " Non ! " et du refus
d'aller sur le pot : je donne si je veux ! ).
L'enfant sait qu'il n'est plus le seul objet de convoitise de la mère, la
présence du père lui dit en quelque sorte : " Ta mère est bien ta mère, mais
elle est également ma femme et elle m'aime aussi. " Le père incarne en ce
sens le principe de réalité et la loi ( symbolique ) dans la famille. Il n'y
aura pas d'inceste, puisque fils et mère ne s'appartiendront pas, et que père
et fils ne s'appartiennent pas.
La présence du père et sa loi symbolique dans cette coupure d'avec la mère
va permettre au fils d'accéder à une identification masculine dans l'accès de
l'affirmation de soi et la capacité à se défendre, l'accès à sa propre
sexualité et l'aptitude à l'abstraction et l'objectivation.
Normalement, le garçon résout totalement cette séparation d'avec la mère vers
5/6 ans.( d'où par exemple: les craintes de l'enfant de perdre
physiquement sa mère, ou fantasme " un tantinet sadique " de mourir lui même en
laissant à ses parents un chagrin indescriptible ! )