Quelques pistes de réflexion en vue de l'examen de l'amendement sur la résidence alternée mercredi 18 décembre 2013

Alors que la commission des lois de l'Assemblée Nationale va examiner un  amendement - voté par le Sénat - au projet de loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes, visant à privilégier la résidence alternée, la ministre des Droits des femmes estime cette mesure problématique sur le fond, et demandera à ce qu'elle soit supprimée par les députés, notamment parce qu'elle « n'évoque à aucun moment l'intérêt supérieur de l'enfant ». 

Mais, comme les plus grands auteurs l'ont démontré, invoquer la notion "d'intérêt supérieur de l'enfant" sans en définir plus précisément le contenu, revient à plonger les parents et les enfants dans un arbitraire judiciaire incompatible avec une société démocratique. Car qui peut encore accepter que les décisions de justice soient rendues non pas en fonction de critères légaux clairs et objectifs, définis par le législateur, mais en fonction de l'appréciation - variable d'un juge à l'autre - de " l'intérêt supérieur de l'enfant " ? 

Aussi, tout en partageant les préoccupations fort légitimes de la ministre des Droits des femmes visant à promouvoir l'intérêt supérieur de l'enfant, encore faut-il de façon primordiale dans  les débats, demander à la représentation nationale de définir la notion d'intérêt de l'enfant. Car aujourd'hui de nombreux parents, pères ou mères, sont discriminés au nom de " l'intérêt supérieur de l'enfant", l'absence de définition légale - et même l'absence d'un cadre minimal obligatoire fixé par le législateur afin d'en appréhender plus précisément le contenu - conduit à un arbitraire judiciaire, décrié depuis des décennies par tous les plus grands sociologues ou juristes.

Le collectif Jafland, composé de parents, grands parents, mères et pères qui observent le fonctionnement de la justice familiale depuis plusieurs années, rappelle pour sa part son constat, partagé par les plus éminents juristes et sociologues, que la notion "d'intérêt supérieur de l'enfant", en raison de son imprécision, est une des causes principales du sentiment de discrimination et d'arbitraire ressenti par des mères, par des pères, et par des enfants, confrontés à la justice familiale.

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Plutôt que de tomber dans des querelles sans fin sur l'intérêt de la résidence alternée (et alors que des analyses nuancées et pertinentes de chercheurs, pédopsychiatres, psychanalystes, sociologues, sur ce sujet existent: LIRE ICI pour exemple) , il est primordial que la représentation nationale débatte de cette notion, pour définir ce qui constitue " l'intérêt supérieur de l'enfant", notamment lorsque les parents se séparent et sont en désaccord sur la résidence de leur enfant. 

Avec la pratique judiciaire actuelle, pour un même dossier, la résidence sera attribuée soit au père, soit à la mère, soit décidée en alternance, tout dépendant du juge aux affaires familiales qui statuera en considération "de l'intérêt supérieur de l'enfant", et donc de la conception personnelle de ce juge envers cette notion. Il ne s'agit pas là d'une critique des magistrats, mais d'un constat connu de tous, et qui est régulièrement formulé lors des colloques: l'absence de définition de cette notion en permet toutes les interprétations. Le doyen Carbonnier a écrit au sujet de la notion d’intérêt de l’enfant que:

 «  C'est la notion magique. Rien de plus fuyant, de plus propre à favoriser l'arbitraire judiciaire. Il est des philosophes pour opiner que l'intérêt n'est pas objectivement saisissable et il faudrait que le juge décide de l'intérêt d'autrui ! L'enfance est noble, plastique, et n'a du reste de signification que comme préparation à l'âge adulte: de ce qui est semé dans l'enfant à ce qui lèvera dans l'homme, quelle pseudo-science autoriserait le juge de prophétiser ».  (Jean Carbonnier, note sous l’arrêt de la Cour d’appel de Paris 30 avril 1959, D. 1960.673, spéc. P. 675)

Ainsi, selon le doyen Carbonnier et de très nombreux autres éminents sociologues ou juristes, l’intérêt de l’enfant est une notion à contenu variable en raison de la diversité des interprètes de cette notion: les parents, le juge aux affaires familiales, le législateur et, dans une moindre mesure, les grands-parents et les enfants eux-mêmes. Ne jugeant pas en fonction de critères légaux clairement définis et s'imposant à lui, il est tout à fait possible que pour une même affaire, la décision du juge aux affaires familiales soit différente d'un cabinet de juge à un autre. Une telle situation propre à favoriser l'arbitraire judiciaire n'est plus aujourd'hui acceptable, d'autant plus lorsque l'on sait que l'appréciation du Juge peut aller à l’encontre des souhaits exprimés par l’enfant lui même, et de nombreux exemples existent où le juge va prendre une décision allant ouvertement à l'encontre des souhaits exprimés par l'enfant...

De la sorte, on parvient à des situations absurdes dans lesquelles les souhaits de l'enfant seront écartés, au nom de l'intérêt de l'enfant !

Pour éviter de tels écueils, des solutions existent, la représentation Nationale est en mesure de ne plus accepter de laisser place à un tel arbitraire:

- en donnant un cadre visant à définir, ou au moins à mieux appréhender, la notion d'intérêt de l'enfant, en définissant les éléments permettant d'encadrer cette notion: par exemple et très simplement, en décidant que les critères que le juge doit prendre en compte pour fixer la résidence, définis à l'article 373-2-11 du Code civil, s'imposent au juge, et qu'il ne puisse les écarter au prétexte de l'intérêt de l'enfant

- en mettant fin aux décisions motivées de façon discriminante envers le parent qui n'aura pas la résidence, et en favorisant les plus larges droits de visite et d'hébergement au parent qui n'aura pas la résidence et qui manifeste sont intérêt pour s'occuper les plus souvent possible de son enfant, malgré la séparation

- en donnant une plus large place à la médiation, mais pas dans sa forme actuelle: le médiateur familial doit avoir le droit de faire un rapport sur les mesures qui lui paraissent les plus adaptées à la situation du couple séparé, et on peut imaginer que si un accord est trouvé, il puisse être entériné par acte d'avocat, sans avoir à faire intervenir le juge

- en répartissant systématiquement entre les parents de façon égalitaire, la charge des trajets occasionnés lors des droits de visite et d'hébergement (par exemple: le parent qui doit exercer le droit de visite va chercher l'enfant, l'autre parent devra aller récupérer l'enfant à l'issue du droit de visite ou d'hébergement) : cette simple mesure éviterait que le même parent fasse parfois des milliers de kilomètres lors des week ends des droits de visite

- en rendant obligatoire l'application du barème du ministère de la justice permettant de fixer les pensions alimentaires (ce barème peut bien sur être amélioré, mais son application permettrait d'éviter les situations d'arbitraire donnant aux justiciables le sentiment que les pensions alimentaires sont fixées à la tête du client, voir cet article récent sur le sujet CLIQUER ICI )

- en matière d'assistance éducative, il est nécessaire de mieux définir et cadrer la notion de "danger", l'absence de définition actuelle conduisant à des abus et à des placements abusifs d'enfants

 

Ces mesures simples seraient de nature à combattre le sentiment de discrimination, d'injustice et d'arbitraire ressenti par de très nombreux justiciables ayant été confrontés à la justice familiale, le collectif Jafland ne peut qu'espérer que la représentation Nationale saisira l'occasion qui lui est présentée pour faire progresser positivement le droit de la famille et de l'assistance éducative.

Commentaires

1. Le mardi 17 décembre 2013, 21:08 par desintox-and-the-city

Dans un chapitre publié en 2009, Michael Lamb et Joan Kelly présentent les résultats des recherches récentes en ce qui concerne les familles séparées. Ils visent à donner des connaissances aux acteurs de la politique et de la justice familiales de manière à leur permettre de résister aux idées reçues et aux divers groupes de pression qui peuvent orienter leurs décisions aux dépens de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les auteurs montrent, à partir de nombreuses recherches qui comparent différents groupes de bébés et d’enfants que les interactions avec leurs deux parents sont nécessaires à leur bon développement. Peu importe si les parents vivent ensemble ou non. Il serait bien que les décisions de justice tiennent compte de ces faits avérés.
Lire la suite sur : http://summit4u.org/desintox-and-th...

Ken: merci pour votre commentaire, le lien pointe sur le site " Desintox and the city" que je découvre et qui me semble très intéressant. Je considère que le plus regrettable dans le fonctionnement actuel, c'est que la justice familiale semble devoir fonctionner de façon binaire, en ayant besoin de choisir un parent - celui qui aura la résidence de l'enfant - et qu'une fois ce choix effectué, l'autre parent sera mis à mal s'il ne se contente pas des miettes de parentalité qu'on veut bien lui laisser. Or je peux citer de nombreux cas de mères qui n'ont pas eu la résidence de leur enfant, et qui connaissent les pires difficultés pour exister plus que quelques jours par mois auprès de leur enfant. Le fond du problème ne me semble donc pas résider dans une opposition hommes-pères/femmes-mères, stérile et parfois artificiellement entretenue par des associations qui y voient leur raison d'exister, voire leur fonds de commerce, mais dans le traitement épouvantable réservé aux parents n'ayant pas la résidence quotidienne de leur enfant, et qui sont trop souvent discriminés non pas en fonction de leur sexe, mais parce qu'ils vont se trouver en opposition en contestant la décision judiciaire du juge aux affaires familiales, dans le but de tenter d'obtenir un meilleur lien avec leur enfant. Et au lieu d'accueillir cette démarche comme une preuve d'intérêt pour leur enfant, trop souvent cette justice va se donner raison à elle même, et chercher à leur imposer comme une vérité-divination tirée de "l'intérêt de l'enfant" le jugement rendu par le juge aux affaires familiales. En témoigne le très faible taux de décisions de première instance qui seront infirmées en appel... Encore une fois, comme l'a dit depuis fort longtemps le doyen Carbonnier, "...  de ce qui est semé dans l'enfant à ce qui lèvera dans l'homme, quelle pseudo-science autoriserait le juge de prophétiser" ?